Aux origines d’une révolution inexorable au Sénégal et en Afrique !

Contribution

Par Elhadji Mounirou NDIAYE, Economiste

Le Sénégal est de plus en plus assailli par d’importants aléas et incertitudes sur sa stabilité politique et sociale. Pour comprendre la situation actuelle, il importe d’analyser le cours cycle Espoir/Désespoir qui a eu cours du lendemain du 23 juin 2011 et à la date du 20 mars 2016, lorsque le nouveau président élu a jugé opportun de retoucher encore la constitution par référendum. Le 23 juin 2011 avait semblé consacrer le bannissement à jamais de tout opportunisme présidentiel tendant à saper l’intégrité de notre constitution. Le premier échec de Macky SALL commence ainsi par cette énième retouche de la constitution en mars 2020 qui n’a eu comme résultat que de lui permettre de ne pas respecter sa promesse de faire un mandat de 5 ans au lieu de 7 ans d’une part, et d’exposer encore les Sénégalais devant ce récurrent et nocif débat sur un hypothétique 3ème mandat.

L’histoire retiendra ainsi que Macky SALL a raté une occasion unique de marquer d’une brillante empreinte la vie politique et institutionnelle du Sénégal en respectant scrupuleusement les recommandations pétillantes contenues dans la charte de gouvernance démocratique issue des assises nationales organisées en 2007 sous l’égide d’Amadou Makhtar MBOW. Devant les délices du pouvoir, Macky SALL a sciemment opté pour la jouissance avec sa clientèle politique et ses proches, jusqu’à oublier le caractère strictement sacerdotal des missions attachées à son élection le 25 mars 2012. C’est pourquoi le Sénégal trainait et traine encore trois tares insupportables, qui se sont empirés actuellement :

1. La constitution du pays était transformée en un document de brouillon où tout était écrit en crayon. Entre 2001 et 2011, Abdoulaye WADE avait retouché la constitution 19 fois, en la transformant ainsi en un torchon utilisé pour s’essuyer ou contenir tous ses désirs. C’est là que sa responsabilité, dans ce qui se passe actuellement dans le pays, doit être évoquée. Puisque son forcing en 2011 pour briguer un troisième mandat interdit par la Constitution, qu’il disait avoir lui-même verrouillée, donne aujourd’hui toute la latitude à Macky SALL pour se targuer du même scénario et essayer le forcing avec tout ce que cela représente comme risques sociaux.

2. L’indépendance de la justice avait été permanemment écornée donnant alors au prince le pouvoir d’emprisonner qui il veut. On se rappelle que les audits et les risques d’emprisonnement qui menaçaient les ténors de l’ancien régime socialiste, ont été ostensiblement brandis et utilisés pour organiser une large campagne de transhumance dès l’année 2001, dans la perspective des élections législatives de la même année et de la présidentielle de 2007. Sauf qu’Abdoulaye WADE est plus tolérant, plus serein et plus réfléchi que Macky SALL, puisqu’il a d’ailleurs eu la grandeur de tenir compte du fait qu’il était dans la transgression. De nos jours, le spectacle des déséquilibres juridiques est devenu indescriptible, à la grande faveur des proches du prince.     

3. Le clientélisme politique et le népotisme étaient arrivés à un niveau intenable, promouvant une médiocrité sans précédent dans la gestion du pays. Les Sénégalais se rappellent encore de la toute-puissance des enfants du Président WADE, Sindiely et Karim WADE. Ce dernier était alors surnommé Ministre du ciel et de la terre. Macky SALL est allé beaucoup trop loin en impliquant de manière ostensible ses frères, ses beaux-frères, ses oncles, ses gendres, et un nombre important d’autres parents proches. Lui-même, et les rares personnes compétentes qui sont avec lui, connaissent les raisons pour lesquelles le Fast Track tant annoncé au lendemain de la présidentielle de février 2019 n’a été qu’un slogan de plus et un mot d’ordre qui n’a fait que surfer sur les superficies des problèmes et de la demande sociale des sénégalais.  

Le constat est très amer, dès lors où nous avions tous porté notre espoir et élu le candidat Macky SALL lors de la présidentielle de 2012. Le peu de crédit et de sympathie qui nous reste pour le président Macky SALL, tient sur cette adhésion initiale à son engagement et à son discours dans les luttes pré-électorales de 2012, de même que sur les actions fermes de ruptures qu’il avait posées à l’entame de son premier mandat en 2012 sous le slogan de la gouvernance sobre et vertueuse. Donc j’appelle mes compatriotes de la mouvance présidentielle à se résigner à ce constat d’échec qualitatif global de leur gouvernance, dont peut témoigner une bonne partie des personnalités nichées dans des niveaux très importants de responsabilité dans l’appareil d’Etat.

Les actions d’éliminations injustes de candidats potentiels à la présidentielle de 2019 comme ce fut le cas de Karim WADE et Khalifa SALL, doublées d’un système de parrainage qui a privé beaucoup de sénégalais de leurs droits de se présenter à cette élection, sont d’une iniquité abracadabrantesque. C’est vraiment une tâche à la fois vilaine et très négative de la gouvernance de Macky SALL qui, ajoutée à sa justice sélective, peut susciter des conséquences désastreuses sur sa vie après la présidence en cas de représailles du régime successeur.

Il est foncièrement dangereux de persister dans les déclarations belliqueuses qui promettent l’enfer et la prison à un président en exercice et à ses proches en cas de perte du pouvoir. Ces dérapages verbaux sont de plus en plus proférés par certains opposants dépités par cette justice réellement sélective, mais le problème est qu’ils contiennent les germes de tentatives désespérées de conservation du pouvoir comme cela semble de plus en plus être le cas au Sénégal. Toutefois, nous clamons haut et fort, notre désir de voir le prochain Président du Sénégal défendre la candidature de Macky SALL à l’ONU ou à l’Union africaine où il pourra nous être plus utile. Hormis les côtés sombres de sa gouvernance, Macky SALL possède l’un des curriculum vitae de chef d’Etat les plus reluisants au monde. Ingénieur de formation, il a été Directeur, Ministre plusieurs fois, Premier Ministre, Président de l’assemblée Nationale et Président de la République.

Cependant, l’heure est venue de repenser notre avenir, concomitamment aux ajustements urgents à opérer sur le parasitage économique dont sont victimes les pays francophones d’Afrique de la part de la France. Le dernier coup de massue que le président du Sénégal a porté à l’image de tous les africains a été d’aller quémander auprès de Vladimir Poutine, une libéralisation des stocks de produits alimentaires afin d’éviter une soi-disant pénurie qui concerne plus les pays occidentaux que les populations africaines. La réaction du Premier Ministre malien à ce déplacement du Président Macky SALL vers la Russie mérite d’être relatée ici par ce qu’elle expose le degré profond de profanation des liens de solidarité africaine par certains présidents africains dès lors qu’il s’agit de mettre en avant les intérêts adverses de la France.

C’est effectivement honteux, voire même infâme, d’asphyxier économiquement un voisin avec qui on partage les mêmes valeurs ainsi que la même communauté économique et monétaire, pour aller, avec l’argent du contribuable, plaider à près de 9 000 km d’ici, une cause qui sert à peine les intérêts immédiats de son peuple. En plein début d’hivernage, il aurait été mieux pour Macky SALL de sonner la fin des importations de blé en annonçant un important programme de culture en masse des substituts que sont le mil, le Sorgho, le maïs et le niébé.

Macky SALL et Alassane OUATARA sont les incarnations de tout ce qu’il faut éradiquer sans délais dans nos relations économiques avec la France et avec les autres pays qui nous envahissent comme la Chine. Ils sont les preuves patentes que les morts de Lumumba du Congo, Djibo Bakary du Niger, François Tombalbaye du Tchad, Thomas Sankara du Burkina, et plus récemment celle de Kadhafi, n’ont pas encore servi de leçons pour sonner la rupture en Afrique francophone. Il en est de même de la longévité au pouvoir de Denis Sassou Nguesso au Congo, Paul Biya au Cameroun, Oumar Bongo au Gabon, Blaise Compaoré au Burkina, et d’autres. Et le Franc CFA, cette monnaie de servitude, a été la source des déboires de plusieurs de ces présidents africains liquidés, jusqu’à Kadhafi qui a voulu initié la monnaie unique africaine. L’on se demande pourquoi l’ECO qui devait remplacer le Franc CFA depuis 2019 a été court-circuité au moment où on veut faire croire aux africains que la France n’a pas d’intérêts sur le Franc CFA. Nous savons déjà que le Trésor Français qui héberge les comptes d’opérations des banques centrales de la zone Franc, fait des placements avec les réserves de ces pays et utilise les rémunérations issues de ces placements pour endetter les Etats africains avec leur argent. Il s’y ajoute que l’information étant une donnée stratégique dans cette nouvelle ère d’économie de la connaissance, la gestion sous tutelle de notre monnaie nous laisse sous informés relativement à nos stratégies de conquête des marchés financiers et d’échanges économiques.

Face à cette ineptocratie érigée en mode de gouvernance dans ces Etats africains stérilement inféodés à la France depuis plus de deux siècles, un ras-le-bol général est permanemment exprimé un peu partout en Afrique francophone par les jeunes depuis les années 2010. Ce mouvement de protestation et d’actions à l’encontre de la posture parasitaire de la France en Afrique francophone n’est pas un sentiment anti-français, il s’agit plutôt d’une aspiration à une révolution immédiate assujettie à une logique de forcing qui peut mener à des luttes violentes à l’image de ce qui s’est passé au Sénégal en mars 2021. Après le sang des martyres comme Lumumba ou Sankara, et les discours et luttes pacifiques déroulés depuis des décennies pour mettre fin à la Françafrique, les jeunes africains ont maintenant arboré une nouvelle logique de lutte acharnée, sans aucune perspective d’échec, et qui impose à la France de s’ajuster et de ne plus s’immiscer dans le fonctionnement interne des Etats concernés. L’attitude de la junte militaire au pouvoir au Mali vis-à-vis de la France en est suffisamment révélatrice.

Cette nouvelle logique de lutte, suivant la formule du ça passe ou ça casse, est venue avec un nouveau discours dont le plus conforme à cette auditoire de jeunes africains est celui d’Ousmane SONKO. Il faut reconnaitre d’emblée que le contenu de son discours et sa formulation ne sont pas totalement exonérés de critiques. Sa communication reste à peaufiner, à nettoyer et à reconstruire davantage, mais le fonds de son discours est entièrement en phase avec les aspirations des peuples africains qu’ils expriment depuis belle lurette. Par exemple la virulence sur certains éléments de son discours, notamment contre l’ingérence et les spoliations économiques de la France en Afrique, a été un élément déterminant qui a poussé les jeunes à s’attaquer aux intérêts français au Sénégal en mars 2021. Ces actions sont à condamner avec fermeté, puisque la France est un partenaire stratégique du Sénégal. Il faut rabâcher aux jeunes qu’il n’est pas question de faire dégager la France dont les investisseurs au Sénégal représentent plus de 25% de nos créations de valeurs ajoutées. Le combat est plutôt de parvenir à équilibrer nos relations économiques vis-à-vis d’elle en lui imposant dorénavant notre totale autonomie.        

Le discours d’Ousmane SONKO est certes quelque peu novateur mais, contrairement aux anciens leaders de même combat comme Sankara, son aura populaire se nourrit plutôt à travers une jeunesse plus nombreuse, plus représentative et plus consciente des enjeux et des défis que par le passé. L’adhésion populaire à son discours sera ainsi à l’image de la grande représentativité des jeunes dans les populations africaines (plus de 70%). Il n’est dès lors point possible d’arrêter la mer avec ses bras. La plus intelligente solution est d’aller accompagner cette vague de révolution et de se positionner en sentinelles des promesses qui sont actuellement en formulation. Les résistances à cette vague de révolution et de changement inexorables seront d’une véhémence qui est déjà perceptible. Ces résistances ont une triple origine.

D’abord le régime en place va se débattre et il ne manquera pas de soutien comme ce fut le cas avec Abdou DIOUF en 1999-2000 et Abdoulaye WADE en 2011-2012. Cette résistance est très normale et elle sera rude puisque basée sur la force publique. Malgré la répression déjà en cours contre les opposants, il faut s’attendre à une armada d’autres actions qui vont probablement se jointes à tous les autres actes que va poser la France pour empêcher cette mouvance contraire à ses intérêts. Néanmoins, la position intelligente de la France serait de ne pas en arriver, avec les futurs dirigeants sénégalais, à l’extrémité atteinte avec les nouveaux dirigeants du Mali.

Ensuite, certains héritiers de pouvoirs religieux et coutumiers vont y voir un risque de perte de leurs positions et avantages de rentes que leur confère ce statut immuable depuis la période pré-indépendance. La résistance à ce niveau est déjà perceptible avec le silence coupable constaté chez certains chefs religieux par rapport à cette justice à deux vitesses et les actes antidémocratiques posés par le régime depuis la période d’avant élection présidentielle de 2019. 

Enfin, et en moindre mesure, il y a les autres adversaires politiques d’Ousmane SONKO notamment dans l’opposition. Ces adversaires sont de deux sortes. D’un côté il y a les envieux et autres méchants politiciens qui ne supportent pas d’avoir créé leur parti depuis des décennies sans résultats et qu’Ousmane SONKO puisse n’arriver qu’en 2014, gagner toute cette sympathie et emmagasiner tous ces militants en l’espace de 7 ans. De l’autre côté, il y a ceux qui sont tout aussi jeune et ambitieux que lui, et aussi soucieux de conquérir le pouvoir en 2024.         

En derniers mots, il est fondamental d’attirer l’attention des tenants actuels du pouvoir sur le dépit profond qui anime la population sénégalaise par rapport à la gouvernance du pays. La justice à deux vitesses, l’enrichissement rapide de certains tenants du pouvoir, le clientélisme et le népotisme flagrants, la trop grande connivence entre le chef de l’Etat et les dirigeants de la France, conjuguées à l’aggravation de la dégradation des conditions de vie due à la pandémie du Covid-19 depuis 2020 et la guerre en Ukraine en début 2022, voilà autant de problèmes qui ont définitivement mis à dos le régime actuel avec l’écrasante majorité des sénégalais. Plus de 70% de cette population à moins de 35 ans, c’est donc l’avenir de ces jeunes qui est en jeu et non celui de Macky SALL et de ceux qui ont franchi la soixantaine. Un jeune de moins de 35 ans a plus de chances d’être encore là dans cinquante ans qu’une personne de plus de 60 ans.

Nous sommes à l’orée du changement tant attendu qui va inexorablement prospérer nonobstant les soubresauts compréhensibles du régime finissant en place. Le rouleau compresseur de la révolution sociopolitique s’est implacablement enclenché en Afrique. Il est déjà à l’œuvre au Mali, il s’est déclenché au Sénégal et il va se propager dans toute l’Afrique francophone. Donc il est plus que jamais temps d’appeler ce régime à reconsidérer sa position, à se réconcilier avec le peuple et à jouer le jeu de la transparence pour un transfert pacifique du pouvoir.      

Université Iba Der THIAM de Thiès

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