Boycott et crise politique pour sauver la démocratie sénégalaise

Contribution Politique

Par Abdoul Mbaye

Ce texte n’engage que son rédacteur. Je me présente donc comme citoyen en réflexion, sans que les conclusions auxquelles j’aboutis ne puissent engager ni mon parti ACT, non plus la coalition dont il est membre.

A-t-on désormais le choix ?

Le boycott des élections législatives prévues en juillet 2022 et la crise politique qui en résulterait pourraient être les seules options restantes d’une opposition impossible à unir pour faire face au recul démocratique organisé dans la durée par le régime de Macky Sall.

Le 11 mars dernier, j’en ai lancé l’idée une première fois par tweet. Pour prendre date mais sans exposé des motifs. Ils sont présentés dans ce texte.

  1. Je commencerai par un rappel important : la désignation des députés sénégalais repose sur un scrutin majoritaire à un tour. Il est anti démocratique dès lors qu’il permet, par département, l’élection de députés non représentatifs parce que très souvent largement minoritaires. Il suffit pour ce faire que l’opposition soit légèrement divisée, ce qui est toujours le cas parce que reflet du pluralisme politique. Par ailleurs, et face à elle, le régime au pouvoir dispose des fonds et des moyens de l’État pour acheter les consciences en violation de la loi et organiser des fraudes parfois subtiles, parfois grossières. Le principe fondamental de la démocratie représentative est donc trahi. Se sachant minoritaire par sondages dans le pays, c’est pour obtenir une assemblée non représentative de la volonté populaire qu’en 2017 Macky Sall a réduit le montant de la caution exigée et favorisé la multiplication des listes de candidatures. Cela lui a permis de contrôler l’Assemblée nationale constituée en 2017 en disposant de 75,78 % des sièges avec seulement 49,47 % des voix exprimées.
  • En 2022, c’est dans un objectif similaire de confiscation du vote de la majorité que Macky Sall choisit d’user d’une démarche moins grossière consistant à éliminer certaines listes de candidats en sus de sa traditionnelle démarche abominable consistant à acheter les consciences d’opposants porteurs de voix, au moins par la visible attribution de responsabilités dans l’appareil d’État aux frais du contribuable (acte désigné « transhumance animale » au Sénégal).

Il y a en outre ajouté le recours au parrainage, son invention de 2018, pour réduire le nombre de compétiteurs sur la base d’un procédé inapplicable lui permettant ensuite par manipulation d’éliminer des compétiteurs susceptibles de drainer des voix. Il fait ainsi le pari d’abstentions en croissance qui lui permettraient de masquer une minorité qu’il représente au niveau national.

Pourtant le système de parrainage, dénoncé par l’opposition sénégalaise comme violant la Constitution sénégalaise dès avant son vote par l’Assemblée nationale, a été confirmé comme tel par la Cour de Justice de la CEDEAO (CJ CEDEAO) le 26 avril 2021 parce que contraire aux dispositions de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples cités dans le bloc de constitutionnalité du Sénégal, ainsi qu’à d’autres textes internationaux ratifiés par notre Etat. Le système de parrainage appliqué par le Sénégal a été dénoncé par la CJ CEDEAO comme violant le droit universel de libre participation aux élections. Ladite Cour a en outre enjoint l’État du Sénégal à supprimer le système de parrainage avant le 29 octobre 2021.

Macky Sall fait donc le choix de persister dans la violation de notre Constitution, celle d’un principe fondamental et universel de l’Homme, aussi de ne pas respecter une loi reconnue supérieure à celle du Sénégal.

Il fait le choix d’organiser des élections pour être certain de les gagner comme en 2019 lorsque sa réélection était en jeu, et comme bien souvent en Afrique où le coup d’état constitutionnel est devenu une règle bien établie, malheureusement plusieurs fois remis en cause par un autre coup d’état, cette fois militaire.

  • La croissance démographique est en outre présentée comme devant imposer – ce qui est concevable et conforme à la loi – la croissance de la représentation de certains départements. La création fort à propos d’un nouveau département détaché d’un ancien doit donner lieu à la désignation de nouveaux députés. La solution toute trouvée reposerait sur la réduction du nombre de députés élus au titre de la proportionnelle. Ce serait choisir de renforcer le biais de représentativité associé au scrutin à un tour aux dépends de la représentativité juste. Ce serait réduire le nombre de députés auxquels l’opposition pourrait prétendre.
  • Or à quoi sert au Sénégal une opposition parlementaire faiblement représentée ? Nous savons que la culture de Macky Sall ne lui permet pas d’appréhender la place qu’il convient de laisser aux avis d’une minorité qui pourtant serait représentative d’un fragment de notre Nation. Il a avoué souhaiter « réduire l’opposition à sa plus simple expression », projet indissociable d’une opposition parlementaire également réduite à sa plus simple expression, ne disposant d’aucun espace de contribution. Telle est la situation vécue à l’hémicycle depuis les dernières élections législatives de 2017.

Osons reconnaître que, minoritaire face à un régime peu soucieux de tenir compte d’avis contraires aux siens, quand bien même ils représenteraient une partie de notre Peuple, l’opposition parlementaire sénégalaise n’a pas été en mesure de faire renoncer au moindre projet de loi, y compris lorsque la Constitution était malmenée (exemple de l’introduction du parrainage) ; elle n’a pu faire voter la moindre proposition de loi ; elle n’a pu faire amender de manière significative le moindre projet de loi ; elle n’a pu inspirer la moindre enquête parlementaire, y compris lorsque le scandale de corruption autour de la cession des puits d’hydrocarbures a éclaté (affaire Sall – Petrotim). Une opposition parlementaire fortement minoritaire ne sert donc à rien dans un pays comme le Sénégal, si ce n’est de faire-valoir permettant d’y entretenir le mythe d’une démocratie représentative.

Vers le terme de la législature qui s’approche, elle n’aura finalement été visible que lorsque contrainte de répondre aux insultes ou incapable de résister aux échanges de coups de poings.

  • Enfin, le réchauffement fort à propos d’un calendrier judiciaire impliquant deux figures majeures de l’opposition sénégalaise ne peut être perçu comme anodin quelques mois avant les élections législatives dont le régime pourrait craindre qu’elles ne confirment ou aggravent le début de retournement vécu lors des élections communales et départementales de janvier 2022.

Pour l’ensemble de ces raisons décrivant un processus électoral et un mode de scrutin conçus pour transformer une minorité en majorité, ou empêcher l’émergence d’une minorité puissante et dérangeante, le boycott des élections législatives de juillet 2022 et la crise politique qui s’ensuivrait à la mesure du déni de droit par Macky Sall sont sans doute les meilleurs atouts dont dispose l’opposition sénégalaise pour attirer l’attention de nos compatriotes et du monde sur la réalité de la vie politique au Sénégal.

Bien entendu, il y aura quelques sacrifices à consentir par renoncement de certains élus à quelques salaires et autres avantages. Mais la réalité du recul démocratique vécu par le Sénégal depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir aura été démontrée en même temps que l’opposition refuserait de participer à une dégradante mascarade démocratique, certains de leurs caciques présentant déjà le fallacieux argument qui assimile subir une loi scélérate à son acceptation.

Dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, elle se consacrerait à faire prendre conscience à nos compatriotes des grands torts infligés à notre Nation par un régime qui a organisé le recul de notre démocratie ; un régime dont la mal gouvernance, faite de mauvais choix économiques et de corruption à grande échelle, a considérablement érodé leur pouvoir d’achat en lieu et place d’un plan (PSE) les faisant rêver d’émergence. Ce serait mieux préparer la prochaine et nécessaire alternance dans la paix ; sinon l’absence de ruptures véritables dans un proche court terme, plongera le Sénégal dans des lendemains particulièrement sombres.

Nombreux sont ceux qui soutiendront par principe que le boycott est toujours une mauvaise solution, mais l’histoire récente du Sénégal prouve le contraire. En effet, le boycott des élections législatives de 2007 n’a pas empêché une alternance démocratique en 2012. Et lors de l’élection présidentielle de 2019, les résultats ont donné raison au Président Abdoulaye Wade qui avait refusé de participer à une élection biaisée (en particulier par l’élimination de candidats par décision judiciaire ou parrainage anticonstitutionnel) dont les résultats étaient connus d’avance : le boycott général par l’opposition aurait été meilleur pour la démocratie sénégalaise et la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO, saisie en décembre 2018, mais venue trop tard en 2021 aurait confirmé la justesse d’un tel choix.

Cependant le boycott des prochaines élections législatives par l’opposition ne peut avoir de sens que s’il est général, une posture adoptée par une opposition et l’ensemble des forces démocratiques enfin unies pour sauver la stabilité du Sénégal dans un environnement sous régional devenu particulièrement instable.

Citoyen sénégalais

Dakar le 28 mars 2022

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