Cheikh Tidiane Seck, président de la fédération nationale des cadres libéraux (Fncl): « Macky Sall n’est pas à la hauteur»

Politique

Walf Quotidien: Le dialogue a démarré sans le Pds, n’est-il pas paradoxal de poser des conditions et de refuser de participer au dialogue?

Cheik Tidiane Seck: Les raisons principales sont évoquées dans le communiqué du secrétaire général du parti du Pds,  Abdoulaye Wade. Si nous voulons dialoguer d’une manière honnête et sincère pour l’intérêt du Sénégal – d’abord nous avons vécu les élections législatives qui ont été les plus mal organisées dans ce pays –  nous devons les évaluer. Nous venons d’une élection présidentielle avec tout ce qu’elle a comporté comme subjectivité républicaine. Je fais référence au parrainage qui avait pour objectif d’écarter spécifiquement les candidats Karim Wade et Khalifa Sall. Nous avons toujours dénoncé la Crei. Le président Macky Sall a créé les conditions de sa réélection sans tenir compte de l’opinion de l’opposition. L’église, les chefs religieux… tous avaient appelé au dialogue avant le scrutin, mais il a refusé. Maintenant qu’il a accompli son objectif d’être réélu au 1er tour, il parle de dialogue. Les actes qu’il a posés ne peuvent pas être sincères, comme la suppression de poste de Pm sans en discuter avec son opposition. Il y a aussi le cas Karim Meissa Wade. Quelqu’un qui veut dialoguer avec son opposition doit poser d’abord des actes qui montrent qu’il veut dialoguer.

Vous doutez donc de sa sincérité?

Absolument. On en doute par expérience d’abord. Si nous devons parler de dialogue, il faut d’abord définir les préalables. Vous avez parlé d’Aly Ngouille Ndiaye, nous savons qu’il est le ministre de l’Intérieur le plus partisan que le Sénégal ait connu et il ne s’en cache pas. Pourquoi dialoguer avec quelqu’un qui est là pour le maintien de son pouvoir. Nous avons connu le dialogue sincère avec le juge Kéba Mbaye. Il faut créer un cadre avec une personnalité consensuelle, neutre pour diriger ce dialogue et avoir l’assurance que les résultats de ce dialogue seront appliqués sans y toucher une virgule. Nous ne pouvons pas dialoguer et donner à Macky le soin de choisir ce qu’il veut. Nous en avons eu l’expérience avec la Cnri dirigée par le doyen Mbow. Nous en avons également eu l’expérience avec la Commission cellulaire qui avait précédé les élections où les gens étaient contre le parrainage, mais il l’a appliqué. Il faut véritablement un minimum de garanti si nous voulons dialoguer pour avoir des résultats qui garantissent la paix.

L’une des conditions que vous avez posées est le départ de Aly Ngouille Ndiaye.

Nous n’avons pas demandé le départ d’Aly Ngouille en tant que ministre de l’Intérieur. Il ne peut pas diriger le dialogue national. Après toute son expérience de ministre de l’Intérieur durant et avant les élections, il ne peut pas continuer à le faire. Il est un éminent responsable de l’Apr. Qu’il soit ministre de l’Intérieur, c’est le problème de Macky Sall, mais qu’il dirige le dialogue national, c’est là où nous ne sommes pas d’accords.

Que pensez-vous de la participation de Decroix à cette rencontre?

Tous les partis sont indépendants. Il faut le reconnaître à Decroix. S’il pense participer au dialogue, c’est sa responsabilité. Il faut être cohérent et logique parce depuis 2017, nous avons dit que tant que le pouvoir de Macky Sall doit organiser des élections présidentielles dans les mêmes conditions que les élections législatives, le Pds ne participera. Aujourd’hui, nous soupçonnons qu’il veuille reporter les élections locales et législatives pour 2024. Je crois qu’il a une philosophie très claire : «je gouverne et l’opposition s’oppose». S’il veut dialoguer, il doit avoir une autre attitude. En tant que président de la République du Sénégal, il doit faire preuve de dépassement et de renonciation. Nous voyons plutôt un président partisan et c’est là où j’ai toujours eu des problèmes avec Macky Sall : il n’est pas à la hauteur pour pardonner et dépasser certaines situations en vue de rassembler le pays. C’est pour cela que je pense que le Pds doit se replier sur lui-même et aller à l’assaut du pouvoir.

Eu égard aux relations entre Decroix et le Pds, n’avez-vous pas l’impression qu’il vous a poignardé dans le dos ?

Toute l’opposition réunie ne signifie rien sans le Pds, c’est cela la vérité. Le Pds doit diriger l’opposition sénégalaise. Que Decroix participe ou pas est le cadet de nos soucis. Ce sont des alliances politiques, on va ensemble selon les intérêts politiques. Il a jugé nécessaire d’aller dans la coalition Idy 2019 et d’aller au dialogue national, ça l’engage et c’est sa responsabilité. Le Pds reste dans ses positions dans la cohérence de nos idées. Depuis les élections législatives de 2017, nous n’avons pas varié. Il a cheminé avec nous, mais aujourd’hui s’il juge nécessaire de renoncer à ses convictions d’hier, ça l’engage.

Qu’est ce qui explique l’inertie de Wade?

Inertie j’en doute. Il fonctionne normalement. Je fais partie des personnes qui ont la chance de le voir assez régulièrement. Il travaille. Il a récemment sorti un communiqué. Il est train de travailler sur la réorganisation et le redéploiement du Pds. Lorsque nous aurons terminé cette réflexion, nous allons occuper le terrain. Il n’est pas dit que c’est Wade qui parle tout le temps. Il a un porte-parole et un secrétaire général adjoint qui parlent aussi. Il est là et est entrain de coordonner les activités et recevoir les militants au quotidien.

On dirait qu’il y a un canal de communication informel entre Macky Sall et Abdoulaye Wade

Je ne suis pas au courant d’un quelconque contact entre Wade et Macky Sall. Macky Sall ne veut pas dialoguer. C’est ce que je retiens de lui. Sinon on serait à ce dialogue national.

Depuis sa fameuse rencontre avec le président guinéen Alpha Condé, il s’est emmuré dans un silence assourdissant.

Quand il doit parler, il parle. Il a produit un communiqué pour dire que le Pds ne va pas participer au dialogue national. En plus, des bonnes volontés ont fait pression sur lui pour préserver la paix au Sénégal. Vous le savez très bien, le terrorisme et le fanatisme religieux menacent le Sénégal. Et bien sûr il faut tenir compte de cette géopolitique pour travailler à stabiliser le Sénégal, parce que c’est cela qui intéresse véritablement Abdoulaye Wade. Or, c’est le président Macky Sall qui devait avoir cette posture. Renoncer à la violence préélectorale et électorale, montre qu’Abdoulaye Wade tient à la paix. Il a toujours dit qu’il ne marcherait pas sur des cadavres pour accéder au palais. C’est la lecture qu’on doit faire de son mutisme et non parce qu’il négocie ou parce qu’il a reçu de l’argent ou d’autres rumeurs qui ne tiennent pas. C’est véritablement pour préserver la paix sociale mais aussi pour se battre pour la démocratie. C’est cette dualité là que nous gérons et c’est pourquoi nous ne participons pas à ce dialogue national qui n’est rien d’autre qu’une mise en scène pareille à celle que nous avons connue le 28 mai 2016.

Est-il vrai que c’est Karim qui a convaincu Wade de ne pas prendre part au dialogue ?

Je n’ai pas de problème à ce qu’il le dise, c’est mon ami et je l’ai dit au frère secrétaire général national qu’on ne doit pas participer à ce dialogue dans ces conditions-là. Si c’est l’avis de Karim ou d’un autre militant, Abdoulaye Wade consulte et c’est cela sa force. Il écoute tout le monde avant de prendre une décision. Et dans ce panier de consultations, mon avis est là-dans, celui de Karim est là-dans et ceux de beaucoup de militants. Maintenant, ceux qui disent que Karim force la main de son père parce qu’il est soi-disant vieux, ne connaissent pas Wade et ne le rencontrent pas. C’est le même Wade, il n’a pas changé, il a le poids de l’âge, c’est vrai, mais il a sa santé physique et mentale qui lui permet de discerner les bonnes des mauvaises herbes. Encore une fois, les statuts du parti lui permettent de décider et une fois qu’il décide, nous devons nous ranger derrière cette décision.

Tantôt vous avez parlé de Karim qui a été empêché de rentrer au pays. Est-il réellement empêché ?

Comment pouvons-nous penser que Karim Wade ne veut pas revenir au pays alors qu’il s’est porté candidat à l’élection présidentielle. Comment pouvons-nous penser que Karim ne veut pas revenir de lui-même s’il participe au parrainage et donne sa caution. S’il n’est pas là c’est par la seule volonté du pouvoir de Macky Sall. Si Khalifa Sall n’est pas là c’est par la volonté de Macky Sall.

Mais Karim n’est pas en prison contrairement à Khalifa Sall!

C’est un exil forcé, il est forcé de rester à Doha et c’est pourquoi nous n’y participons pas.

Revenons à Wade, est-il vraiment fauché comme veut-nous le faire le porte-parole du Pds ?

Wade n’est pas fauché, ce n’est pas possible. Encore une fois, je le vois régulièrement et il est en très bonne santé physique et mentale et il vit normalement comme avant. C’est peut-être un lapsus ou une incompréhension. En plus, c’était par rapport aux finitions de sa maison du Point E. les gens ont interpellé ça d’une autre manière, mais Wade n’est pas fauché, absolument pas.

Entre vous et Oumar Sarr ce n’est pas le grand amour. Qu’est ce qui explique cela?

Tous les grands partis sont secoués par des divergences que nous gérons très bien à l’interne. Je n’ai aucun problème avec Oumar Sarr qui a été nommé secrétaire général national adjoint par Abdoulaye Wade, qui m’a également nommé président de la Fncl. Donc, nous devons avoir des relations de travail. Il y a un seul boss, c’est Abdoulaye Wade et nous sommes tous ses collaborateurs. Maintenons qu’on ne puisse pas travailler ensemble, c’est quelque chose qui arrive. Mais ce qui me préoccupe, c’est véritablement de remplir la mission que le frère secrétaire général m’a confiée.

Le Pds est aussi secoué par le départ de Babacar Gaye

Babacar Gaye n’est pas parti, il a été démis de ses fonctions de porte-parole, mais il est toujours membre du Pds. C’est une décision souveraine parce que c’est le secrétaire général qui nomme qui il veut.

Cela ne fragilise-t-il pas votre parti ?

Il y a beaucoup de frustrations au sein du parti de par son fonctionnement. Cela aussi il faut avoir le courage de le dire. Mais on arrive toujours à gérer, à faire les réglages nécessaires et à fournir les explications qu’il faut. C’est pour continuer la marche vers la reconquête du pouvoir. En outre, ceux qui critiquent les décisions de Wade ont bénéficié de ces mêmes décisions par le passé. A chaque fois que le secrétaire général décide, il faut se soumettre ou se démettre. Le parti a toujours fonctionné ainsi, donc ce n’est pas aujourd’hui qu’il ait prise une position par rapport au dialogue national ou qu’il ait démis ou nommer untel qu’il faille dire qu’il n y a pas de démocratie dans le parti ou dire que c’est le fils qui manipule le père. Mais nous continuons notre cheminement derrière lui en soutenant toutes les décisions en les expliquant.

Mais pourquoi après 45 ans, Wade refuse de passer le témoin?

Il est encore capable de diriger le parti physiquement et intellectuellement. Il est en train de réfléchir sur des schémas de transmission du pouvoir. Mais pour remplacer Wade il faut tout un processus qui va du secteur jusqu’au congrès et c’est ce que nous sommes en train de préparer pour désigner un nouveau leadership pour la reconquête du pouvoir.

Source: Walf Quotidien

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