Docteur Boubacar Diarisso, consultant en gouvernance publique: «C’est l’arrogance, l’entêtement et le mépris des autorités qui ont révolté les Sénégalais»

Politique

Les ministres qui voient des forces étrangères ou terroristes dans les violentes émeutes de la semaine ont tout faux. Enseignant à l’Ucad et consultant en gouvernance publique, Boubacar Diarisso affirme que l’affaire Sonko n’est que l’élément catalyseur, le déclencheur de la manifestation et de l’expression d’une suite frustrations,  d’injustices et d’ingratitude que les Sénégalais ont ressenti.

Quelle lecture faites-vous de l’affaire Sonko ?

«Tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien; sitôt qu’il peut secouer le joug, et qu’il le secoue, il fait encore mieux: car, recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie , ou il est fondé  à la reprendre , ou on ne l’était point à  lui ôter». J’ai cité Jean Jacques Rousseau, Du contrat social.

Je pense que la plupart des Sénégalais ne sont pas contre la convocation de Sonko à la Gendarmerie.  L’affaire Sonko a surpris plus d’un sénégalais. A responsable, responsable et demi puisque les gens se posent la question de savoir: pourquoi a-t-il bravé le couvre-feu? Pourquoi ce salon plutôt qu’un kinésithérapeute? Ce sont des questions légitimes dans la mesure où l’homme, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, a su construire en peu de temps une structure dynamique et organisée. Le bon sens est la chose la mieux partagée. Ce qui a irrité les Sénégalais, c’est d’abord l’irrespect des règles de procédures à l’Assemblée nationale. C’est à partir de là que le doute a commencé à s’installer dans les esprits. Mais aussi et surtout, de la substance du procès verbal de l’enquête, retrouvée dans la rue et qui ne semblait pas être consistant. A partir de là, on ne peut pas empêcher les gens de penser à un complot ourdi par des éléments du parti au pouvoir.

Pensaient-ils tenir le bon bout pour ternir l’image de leur opposant le plus irréductible?

Si c’était le cas, l’entreprise a lamentablement échoué parce que la méthode de déstabilisation d’un concurrent qui doit être axée sur la manipulation de l’opinion publique et l’utilisation des caisses de résonnance, a été mal faite. La démarche est à la fois immorale et amorale; elle manque d’intelligence.  

Ce qui fait mal aux Sénégalais, c’est qu’on ait torpillé les procédures en abusant de la loi.  Ce qui fait mal aux Sénégalais,  c’est qu’on ait cherché coûte que coûte à  lui coller une infraction de trouble à l’ordre public et participation à  une manifestation alors que Sonko était dans sa voiture. Tous les juristes savent que la notion d’ordre public est large. Ce qui fait mal aux Sénégalais, c’est qu’on l’arrête sous le coup de la flagrance alors qu’il était entre les mains de la Gendarmerie avec un convoi dirigé par une autorité administrative zélée qui devait prendre de la hauteur.

Je pense que les gouvernants  ont oublié ce qui avait motivé les Sénégalais à  chasser Wade du pouvoir: l’injustice, la non transparence dans la gestion des affaires publiques, la politisation de l’Administration,  le népotisme et le clientélisme politique mais aussi et surtout la suspicion d’une dévolution monarchique du pouvoir. Pourquoi Diantre les hommes politiques oublient-ils ce qui les a porté au pouvoir!

Pourquoi, selon vous ?

Le pouvoir est l’affaire d’hommes intelligents et instruits. Je peux dire que c’est l’arrogance, l’entêtement et le mépris des autorités sénégalaises qui a révolté les Sénégalais qui ont lutté tant d’années pour une bonne gouvernance,  une consolidation de l’Etat de droit et une indépendance de la justice. Le Sénégalais n’est pas un être qu’on muselle; il tient à sa liberté comme à  la prunelle  de ses yeux. Il faut comprendre la psychologie des populations pour les diriger. Lorsque les conseillers du prince sont des anciens trotskistes qui pensent que la classe dirigeante doit toujours prodiguer une pensée dominante, la gouvernance dérive vers l’autoritarisme.

Dire que ce sont les enfants et des lutteurs qui étaient sortis pour exprimer leur ras-le-bol, relève d’une malhonnêteté inqualifiable.  Ex nihilo nihil, à  partir de rien, il n’y a rien. Au demeurant, l’affaire Sonko n’est que l’élément catalyseur, le déclencheur de la manifestation et de l’expression d’une suite frustrations,  d’injustices et d’ingratitude que les Sénégalais ont ressenti. Je pense que Macky Sall ne sera pas dans une posture de revanche. Tout acte posé de sa part et qui va dans le sens de la répression,  pourrait plonger le Sénégal dans le chaos.

Que lui conseillez-vous ?

Je lui conseillerais de ne pas faire moins que Wade qui n’a pas fait moins que Diouf. Qu’on le veuille ou non  Sonko s’est imposé comme le Leader incontesté de l’opposition. C’est lui qui porte le combat et la frustration des Sénégalais dans l’hémicycle de l’Assemblée et dans la rue. Il est le clone de Abdoulaye Wade dans cette posture; je ne parle pas de charisme. Wade est unique dans son genre.

Que doit-il faire pour maintenir ce statut?

Je pense que pour maintenir ce statut, il fera tout pour rester constant dans son projet, dans son ambition de conquérir le pouvoir et dans ses prétentions de défendre l’Etat de droit. Il doit rassurer les Sénégalais sur sa capacité de pacifier l’espace public, de redonner confiance à  une jeunesse désemparée et de maintenir la forme laïque de la République pour permettre une liberté de culte et rassurer les confréries qu’il respectera l’existence des congrégations selon les lois de la République.

Son discours jugé anti occidental. Que doit-il faire pour être dans les bonnes grâces de l’occident qui détient la bourse?

A mon avis, ce n’est pas un discours anti occidental mais plutôt une re-considération des relations économiques et politiques pour permettre aux sénégalais de profiter de leurs richesses. Il ne s’agit pas de rentrer dans les grâces de l’Occident et de rester dans une relation de dépendance, il s’agit de la redéfinition d’une politique étrangère pour préserver nos richesses, nos valeurs culturelles et religieuses. Permettez moi de terminer avec cette pensée de Karl Jaspers, la culpabilité allemande, pp. 60-61. «Il existe entre les hommes, du fait qu’ils sont des hommes, une solidarité en vertu de laquelle chacun se trouve co-responsable de toute injustice et de tout mal commis [ …], et en particulier  de crimes commis en sa présence,  ou sans qu’il les ignore. Si je n’ai pas risqué ma vie pour empêcher l’assassinat d’autres hommes, si je me suis tenu coi, je me sens coupable  en un sens qui ne  peut être compris de façon adéquate  ni juridiquement,  ni politiquement,  ni moralement… ».

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