Guy Silva Thiam, enseignant-chercheur en finances: “Notre croissance est tirée par le RESTE DU MONDE”

Eco-Finance

Le pouvoir s’enorgueillit d’un taux de croissance en régulière hausse  et parle même de 7,2%. Seulement, ce chiffre est donné par la DPEE, alors que, selon Guy Silva Thiam, enseignant-chercheur en finance, elle n’est pas habilitée à établir le taux de croissance réel. Cette mission est celle de l’ANSD qui a arrêté la croissance du PIB à  6,2% en 2016 contre 6,4% en 2015. Donc, il y a une baisse. Mieux, il explique que le taux de croissance est juste un indicateur dont le calcul est contesté. Depuis 2014, en taux de croissance l’Ethiopie est première mondiale avec un taux moyen annualisé de 9,70% et pourtant c’est le 14e pays le plus pauvre  du monde en PIB par habitant basé sur les parités du pouvoir d’achat. La RD Congo est 3e mondial avec 8,60% sur la même période et pourtant elle se classe en terme de pauvreté au 3e rang mondial.

Walf Quotidien: Comment se portent les finances du pays, d’après vous?

Guy Silva Tham: Si on prend une échéance à court terme, le Sénégal présente une situation financière qui pourrait sembler tendue à première vue. Cependant le plus important est de savoir si nous sommes en mesure de faire face à des dettes échues, de respecter nos engagements à brève échéance et dans ce cas, je crois qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer.

Pourquoi ?

Le dernier bulletin de statistique monétaire de la BCEAO montre que notre masse monétaire est restée constante sur le premier trimestre 2018 et que les remboursements s’effectuent presque normalement. Maintenant, si des mesures tendant à rationaliser les dépenses publiques ou à améliorer les recettes budgétaires internes ne sont pas prises, on pourrait connaître une situation très difficile dans les années à venir.

Le pouvoir se glorifie d’un taux de croissance de 7,2%, ce chiffre est-il réaliste compte tenu de la pauvreté, du chômage et de la famine qui menace une bonne partie du pays?

Le taux de croissance du Sénégal n’a jamais atteint 7,2%. Ce que la DPEE a donné c’est le taux de croissance prévisionnel et cette direction n’est pas habilitée à établir le taux de croissance réel. Cette mission est celle de l’ANSD qui a arrêté la croissance du PIB du Sénégal à  6,2% en 2016 contre 6,4% en 2015, on attend toujours celui de 2017. Il faut comprendre que le taux de croissance du PIB est établi après le dépôt des états financiers de tous les agents économiques (Avril de chaque année chez nous) donc pour 2017 il faut attendre.

Maintenant les chiffres de l’ANSD montrent clairement que notre croissance a ralenti sur ces 2 dernières années et il n’y a donc pas lieu de pavoiser même si ces taux sont encourageants compte tenu d’où on vient (moins de 3% avant 2012).

Compte tenu de notre classement au critère de la pauvreté, 30 ème pays le plus pauvre du monde en 2016, avec moins de 2600$ par habitant juste devant le Yémen et derrière la Tanzanie, le Lesotho entre autres, notre taux de croissance doit faire partie des plus élevé sinon on ne rattrapera jamais notre retard. Maintenant on sait d’où on vient et l’ampleur de la tâche qui nous attend, alors à nous de nous mettre au travail très sérieusement avec une obligation d’échéances longues et ne pas s’attarder sur les calculs d’épicier nous emmenant à oublier la proie pour l’ombre.

Une croissance économique est toujours tirée par un secteur, d’après vous quel est le secteur qui pourrait tirer cette croissance ?

Notre croissance est tirée par le RESTE DU MONDE. En effet la croissance de notre PIB est fortement dépendante des droits de douanes donc des importations. Notre économie est extrêmement extravertie ce qui fait que quelle que soit la politique économique mise en place, dès lors que ce postulat ne sera pas inversée, on ne ressentira pas les effets de la croissance quel qu’elle soit.

Le second acteur de notre croissance c’est l’Etat, l’Administration Publique par le  biais de la commande publique.  Les autres secteurs sont très dépendants de la commande publique que ce soit le secteur financier ou le privé (les sociétés). Pour permettre une croissance endogène, il nous faudrait parachever la déclaration du Président Diouf  “Moins d’Etat, Mieux d’Etat”.

Malgré ce taux de croissance pourquoi l’Etat n’arrive pas à payer les privés nationaux?

Comme je l’ai dit précédemment, dès lors que notre structure économique restera en l’état, on aura toujours des tensions de trésorerie car la principale ressource de l’Etat devrait provenir des entreprises locales mais si ces dernières dépendent de l’Etat pour faire leur chiffre d’affaires, encaisser et payer leurs impôts et autres taxes alors l’un des deux devra s’endetter pour payer.

Etant donné que les privés nationaux sont limités dans l’accès au financement bancaire local, alors c’est à l’Etat de s’endetter. Mais ce modèle a des limites objectives car on ne peut pas s’endetter pour payer des dettes. Ensuite, l’Etat s’est lancé dans des projets à cycle long sans disposer de la structure financière équilibrée nécessaire alors que les entreprises financent dans le court terme (le fonctionnement) donc ce décalage d’échéance entraîne forcément des tensions au moment du règlement.

Il faut aussi noter que le taux de croissance montre l’évolution du PIB du pays mais n’impacte pas directement sa trésorerie, sa liquidité ni sa solvabilité. On peut voir notre richesse augmentée sans pour autant disposer d’argent permettant de régler nos dettes à terme échu parce que simplement le règlement se fait avec de la trésorerie alors que notre richesse concerne un ensemble d’actifs monétaires et non monétaires.

Le taux de croissance n’explique donc pas tout. D’ailleurs son mode de calcul est de plus en plus contesté par les économistes et même par certains pays. J’en veux pour preuve qu’en 2008, le Professeur Joseph Stiglitz, éminent économiste, a été mandaté avec plus 20 de ses collègues par la France aux fins de proposer un meilleur mode de calcul du taux de croissance afin de lui permettre d’être plus moderne et plus en adéquation avec les réalités économiques du monde.

Comment expliquez-vous cette croissance régulière depuis l’accession du président Macky Sall au pouvoir ?

Il faut reconnaître au président une volonté affichée de transformer l’économie sénégalaise en réorientant, du moins dans la théorie, les priorités du Sénégal vers des secteurs à forte valeur ajoutée (le numérique, les services, etc) mais aussi en essayant avec des résultats mitigées de redynamiser l’agriculture.

Mais la grande réussite du Président Sall, et on n’en parle pas assez, c’est la fourniture quasi constante de l’électricité. Cela semble une évidence, aujourd’hui mais c’était un défi énorme à relever et beaucoup de nos gouvernements ont échoué à ce niveau. Cette fourniture constante et régulière permet à nos entreprises de réaliser des économies énormes, d’améliorer leur productivité, leur temps de travail et donc leurs performances.

Existe-t-il dans le monde un pays en voie de développement qui a une réalisé une telle prouesse ?

Les plus forts taux de croissance en PIB réel et en PIB moyen sont obligatoirement enregistrés dans les pays en développement. Par exemple depuis 2014, en taux de croissance l’Ethiopie est première mondiale avec un taux moyen annualisé de 9,70% et pourtant c’est le 14 ème pays le plus pauvre  du monde en PIB par habitant basé sur les parités du pouvoir d’achat. La RD Congo est 3ème mondial avec 8,60% sur la même période et pourtant elle se classe en terme de pauvreté au 3 ème rang mondial. Le Mozambique est 10 ème mondial en croissance et 7 ème mondial en pauvreté

En définitive, il faut vraiment savoir raison garder sur le taux de croissance même si il est toujours bon de mesurer notre évolution mais l’analyse pertinente n’est pas juste temporelle mais aussi spatiale. C’est à dire chercher à savoir si nous avançons assez vite pour combler notre gap par rapport aux pays émergents voire développés. Que nous reste-t-il pour que les effets de la croissance puissent être ressentis dans le panier de la ménagère car au final c’est la seule chose qui compte réellement tout le reste n’est que conjoncture servant à satisfaire des bailleurs et des institutions internationales.

Le dernier Premier ministre socialiste Mamadou Lamine Loum affirme que les finances publiques ne se portent pas bien, l’actuel ministre du Budget dit le contraire. Qui a raison, selon-vous?

Chacun d’eux a sa perspective qui conditionne sa position. Mais il reste évident que le jour où un ministre chargé des finances ou du budget reconnaîtra l’existence d’une tension financière dans un pays, ce sera catastrophique pour l’économie car notre note en terme de risque souverain sera automatiquement rabaissée et nos entreprises qui dépendent toutes de leurs fournisseurs étrangers en subiront les conséquences et l’Etat verra ses capacités d’endettement dévaluées.

Je pense que nos éminentes personnalités devraient éviter de tenir des discours aussi alarmistes basés sur des spéculations sans mesurer l’impact de ces propos sur le privé national. Tous les pays connaissent à un moment ou un autre des tensions de trésorerie sans que cela ne soit rédhibitoire et le Sénégal ne peut faire exception. Mais à la veille d’échéances électorales si importantes comme la présidentielle, tout est amplifié.

C’est juste à l’Etat de communiquer mieux, de faire preuve de plus de transparence dans les chiffres, et de coordonner son discours pour rassurer le sénégalais lambda, les fournisseurs de nos entreprises et non seulement les bailleurs. Malheureusement cela n’est pas le cas et l’Etat oriente juste sa communication vers les bailleurs publics en oubliant les privés.

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