OUSMANE NDIAYE, PRESIDENT DU COMITE AD HOC DE L’INTERPROFESSION LAITIERE: “Le Sénégal n’a pas de véritable politique laitière”

Eco-Finance

WalfQuotidien : La production de lait ne couvre que 46 % de la demande. Pourquoi les producteurs nationaux n’arrivent pas à satisfaire le marché?

Ousmane NDIAYE: Ce sont des estimations du ministère de l’Elevage et des Productions animales, des chiffres officiels. Il faut cependant noter que, la production de lait local porte sur un volume estimé à 217,8 millions de litres, dont 65 % provenant du système extensif et 35 % des systèmes semi-intensif et intensif.

La faible quantité de production laitière locale, est due essentiellement à la faiblesse des politiques publiques en matière d’accompagnement de la filière. Malgré l’importance du cheptel, près de 3,5 millions de bovins et le potentiel de production laitière, le Sénégal n’a pas de véritable politique laitière. Néanmoins, avec l’appui de quelques partenaires financiers, des modèles de développement et de promotion du lait local sont en train d’être expérimentés.

Dans ce contexte d’insécurité alimentaire et de l’ampleur des importations, le gouvernement vise plus particulièrement une amélioration génétique par l’insémination artificielle et l’importation de races exotiques à haute potentialités génétiques pour booster la production laitière. Ces deux programmes phares de la filière lait n’ont pas produit les effets escomptés. La problématique se situe particulièrement dans la mise en œuvre. Il est temps d’évaluer ces programmes et de tirer les leçons dans une démarche inclusive et participative impliquant de manière effective et concrète les acteurs et professionnels de la filière lait.

En l’absence d’une politique de laitière que faudrait-il faire pour booster la production?

Il est urgent de construire un plan de développement de la filière lait avec un renforcement du cadre incitatif en vue d’accroître l’investissement privé pour appuyer l’intensification de la production. Malgré les tentatives de mise en place de systèmes de production, de collecte, de transformation et de distribution et de l’appui à la structuration de la filière lait en interprofession par les pouvoirs publics ; force est de constater que, notre pays ne dispose pas de politique laitière. Or, il serait difficile de promouvoir les chaines de valeur lait, s’il n’existe pas une vision claire et complète de l’Etat se traduisant par des actions cohérentes et l’implication forte des acteurs dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des projets et programmes publiques à travers leur interprofession.

Le développement de la filière constitue un enjeu important pour assurer la sécurité alimentaire des populations sans négliger, les revenus induits par les différentes activités de la chaine de valeur (production, collecte, transformation, distribution) tant pour les acteurs que pour l’Etat au regard de l’importance du déficit de notre balance commerciale.  La mise en place d’un plan laitier comme défini dans l’offensive régionale de la Cedeao pour la promotion des chaines de valeur lait local en Afrique de l’ouest demeure à ce moment un fort axe de plaidoyer pour l’interprofession laitière du Sénégal. C’est l’une, des solutions majeures pour booster la production laitière locale en vue d’atteindre l’autosuffisance alimentaire en produits laitiers.

Dans le Plan d’Actions Prioritaires (PAP1) 2014-2018, le PSE/ Elevage avait entre autres objectifs la réduction de la dépendance alimentaire sur les produits d’origine animale (lait, moutons de Tabaski). Le constat est que: malgré la mise en œuvre du PAP1, les importations de produits laitiers ne cessent d’augmenter ainsi que les besoins en moutons de Tabaski.

L’élevage est en grande partie traditionnelle. Le Sénégal dispose-t-il d’industries laitières?

Effectivement. Dans notre pays, à l’image de tous les pays sahéliens, l’élevage extensif est le système de production dominant parce qu’il constitue le modèle de production le plus adapté à notre environnement physique.

 Les sècheresses sont cycliques dans la région sahel depuis les années 70. La mobilité des animaux est donc, le mode d’exploitation le mieux adapté pour permettre aux animaux d’accéder au pâturage naturel pour leur alimentation et pour leur survie. Néanmoins, des systèmes de production semi-intensifs et intensifs, sont en train de se développer dans les zones péri-urbaines de certaines villes du pays et aussi, dans les Niayes dans les régions de Dakar et de Thiès par l’implantation de fermes intensives malgré les énormes difficultés liées à l’alimentation du bétail et à la compétitivité des produits laitiers.

Concernant la transformation, il faut constater une faible valorisation de la production locale liée au faible niveau des quantités collectées, à un tissu industriel globalement faible avec trois segments: un segment artisanal ou de transformation traditionnelle, des mini-laiteries ou semi-industriels qui fournissent des produits laitiers sur les marchés locaux et urbains et un segment des industries de transformation dont la grande quantité est constituée de lait en poudre importé et reconstitué. Toutes les industries laitières au Sénégal sont membres de l’interprofession mais, il faut noter que parmi elles, deux seulement intègrent le lait local dans leurs chaines de production. Il s’agit notamment de la société Kirène avec la marque «Kandja» et de la Laiterie du Berger de Richard Toll avec la marque «Dolima».

La principale contrainte des industries de transformation du lait local est constituée par l’insuffisance des approvisionnements en matière première (lait cru). La production nationale demeure très faible et ne permet pas aux transformateurs de manière générale à atteindre leur seuil de rentabilité en toute saison et, cela justifie l’urgence de définir une politique laitière pour, dans les années à venir, renverser la tendance de la prédominance des importations au détriment de la production nationale.

Ces industries ont-elles des débouchés au niveau national ?

Pour le moment, nous pouvons affirmer sans nous tromper que, le marché de consommation est dominé par les produits laitiers importés. Néanmoins, la vente du lait liquide local n’est pas confrontée à un problème de marché mais plutôt, à la disponibilité, à la sécurisation des approvisionnements en lait cru en toute saison.

Chaque année, le Sénégal importe à peu près 60 milliards de francs en produits laitiers…

Non seulement les importations de lait en poudre pèsent négativement sur notre balance commerciale mais, elles favorisent la liquidation systématique de la filière lait locale. Des études ont démontré que le lait en poudre végétal importé qui constitue la plus grande consommation au Sénégal coûte au maximum près de 225 F CFA le litre au consommateur final alors que le lait de vache local coûte entre 300 FCFA à 700 FCFA selon les différentes zones agro-écologiques du pays.

Pourquoi le lait local est plus cher?

Pour analyser cette situation, il faut la contextualiser aux politiques de commerce international telles que la Politique agricole commune (Pac) de l’Ue, les Ape et leurs conséquences pour la promotion de la filière lait local en Afrique de l’Ouest. Pour la Pac, il s’agit d’appuis financiers des Etats européens à leurs producteurs. C’est globalement le 1er poste de dépenses de l’Ue (40 % du total) et qui donne la possibilité aux producteurs de vendre leurs produits en dessous des coûts de revient. Sachant que l’Ue est le premier exportateur mondial de produits agricoles, que sa production de lait est en hausse suite à la fin des quotas laitiers (la production devrait passer, selon les estimations, de 450 000 tonnes en 2014 à 650 000 tonnes en 2023).

 L’Ue est le premier fournisseur de produits alimentaires de l’Afrique de l’ouest dont le lait est le 2ème poste d’importation, il est permis de s’inquiéter pour l’avenir de la filière locale laitière. Pour les Ape, dans le domaine agricole, les droits de douane disparaitront pour environ 1/3 de la valeur des importations provenant de l’Ue (notamment le lait en poudre).

Au regard de cette situation des politiques commerciales internationales, les acteurs de la filière lait de la sous-région sont en train de mener des actions de plaidoyer pour la révision des accords  au niveau national, au niveau de l’Uemoa, de la Cedeao et au niveau de Bruxelles. Mais disons que cela ne suffit pas. Avec la pandémie de la Covid-19, nos dirigeants doivent prendre conscience de la nécessité d’assurer notre propre sécurité alimentaire. Nous devons impérativement revoir nos modèles économiques et de développement. C’est une question de survie ou de mort programmée.  Les pouvoirs publics doivent investir massivement pour accompagner les filières agricoles et mettre en place des mécanismes d’incitation à l’investissement privé adaptés à la portée des acteurs et professionnels de la filière lait local.

Comment faites-vous pour faire face à l’importation massive de lait en poudre ?

 Pour faire face à l’importation massive du lait en poudre, il convient de travailler sur plusieurs niveaux. En amont, il s’agit d’améliorer l’organisation de la collecte et le transfert du lait vers les UTL, les industries et de favoriser une production régulière pendant toute l’année (stabulation, production de fourrage, mise à disposition de compléments alimentaires, amélioration génétique, santé du cheptel, augmentation de la productivité etc.…).

En aval, l’enjeu est d’améliorer les circuits de commercialisation et de distribution, de favoriser la diversification de l’offre de produits laitiers et développer les compétences des acteurs de la filière en technique de transformation et en marketing. Avec les autorités étatiques, le principal enjeu est de créer les conditions pour l’instauration d’un dialogue permanent de sorte que les acteurs puissent participer de manière effective à l’élaboration à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques.

Cette concertation est primordiale pour que puisse être définie une vraie politique laitière intégrant une législation adaptée qui contribue à la valorisation et à la promotion du lait local. Elle prend en compte l’interdépendance entre la filière lait local, l’importation et la consommation du lait en poudre importé qui ont été favorisées par la Pac de l’UE, et un système de taxation préférentiel  (Tva 5 %) des Etats de l’Uemoa et de la Cedeao. Les services déconcentrés de l’Etat (Inspection de l’Elevage, services vétérinaires) doivent, avec des moyens renforcés par l’Etat, œuvrer pour renforcer l’appui technique et de proximité, le contrôle de salubrité et d’hygiène auprès des exploitations des producteurs.

Avez-vous une stratégie pour la transformation du lait liquide?

Les Utl peuvent mettre sur le marché des produits laitiers liquides comme le lait pasteurisé ou stérilisé. La technologie existe déjà. Dollima et Kirene produisent du lait liquide pasteurisé. Il suffit juste de renforcer leurs capacités techniques et technologiques.

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