SOULEYMANE SOUMARE, DIRECTEUR EXECUTIF DE L’APBEF: “Au 30 septembre 2020 les banques ont prêté plus de 5 200 milliards FCFA à leurs clients”

Eco-Finance

Les banques sont réputées pour leurs taux d’intérêt elévés mais aussi et surtout de jouer à cache cache avec les clients sur le montant du taux global effectif. Dans cet entretien, Souleymane Soumaré, directeur exécutif de l’association professionnelle des banques et établissements financiers du Sénégal (Apbef) affirme que oui, les banquiers doivent communiquer le Teg. Toutefois, il assure que les taux pratiqués au Sénégal sont les plus bas de l’espace Uemoa.

Walf Quotidien: Une étude de l’Observatoire de la qualité des systèmes financiers (Oqsf) révèle que 90% des clients jugent les taux d’intérêt trop élevés. Qu’est ce qui justifie, selon vous, ces taux élevés que certains qualifient d’usure?

Souleymane SOUMARE : Il est établi de source officielle et autorisée que les taux débiteurs pratiqués au Sénégal sont les plus bas de l’Uemoa. Les établissements de crédit du Sénégal, à savoir nos membres, banques et établissements financiers à caractère bancaire, s’en félicitent et entendent accentuer leurs efforts pour la poursuite de la tendance baissière, dans la mesure du possible. Cela étant, la notion de taux d’usure est définie, régie et surveillée par le régulateur sur la base de la Décision n° Cm/Uùoa/011/06/2013 du 28 juin 2013 et l’Avis n°03-08-2013 du 29 août 2013 de la Bceao qui fixent le taux d’usure comme suit à 15,0 % l’an pour les banques, au lieu de 18% au paravent et 24,0 % l’an au lieu de 27% antérieurement pour les établissements financiers à caractère bancaire et les Sfd.
Le taux effectif global (Teg) ne saurait dépasser ces limites sous peine de fortes sanctions par le régulateur qui veille au grain, croyez-le. Pour les banques, le Teg comprend le taux nominal du crédit, les frais de dossiers, mais également les frais de garantie et d’assurance, le tout ne devant pas dépasser le taux d’usure. Il ne vous aura pas échappé que dans la détermination du Teg, il y’a des charges qui ne relèvent pas du banquier. Pourtant, en cas d’infraction, notamment sur le taux d’usure, c’est la banque qui est sanctionnée, pas les autres. Par ailleurs, dans la détermination du Teg et du taux d’usure, ne figurent pas les impôts et les taxes que l’emprunteur supporte en tant que charges liées au crédit qu’il a obtenu.
Je souhaite enfin rappeler que les crédits nécessitent la mobilisation de ressources qui ont un coût  parfois très élevé, notamment quand il s’agit de dépôts à terme (Dat). Le risque a également un prix; essayez de calculer combien de crédits de 100 millions de F Cfa une banque devra accorder à divers clients pour espérer via les intérêts générés par ces crédits pour espérer rattraper le montant d’un seul impayé de 100 millions de FCFA passé à perte. La banque est une société anonyme avec des actionnaires qui ont investi pour en tirer des revenus, lesquels revenus rapportent certes des dividendes aux investisseurs mais également des ressources fiscales à l’Etat.
Il convient donc de retenir que le taux d’intérêt permet de déterminer la juste rémunération des ressources utilisées, du risque lié à l’engagement pris et charges imputées par les différents intervenants dans la chaîne ainsi que la marge attendue.

Toujours d’après l’Oqsf, 40,6 % des clients estiment n’avoir pas reçu d’informations préalables sur les conditions tarifaires, notamment sur le Teg, de leur banque au moment de l’entrée en relation. Pourquoi les banques refusent de communiquer toutes les informations?

Le format de la question justifie en lui-même la nécessité du renforcement de la communication. Vous parlez d’informations préalables sur le Teg au moment de l’entrée en relation. Il n’y a pas de taux d’intérêt à communiquer lors de l’entrée en relation, encore moins un Teg car à ce stade il n’y’a pas encore de crédit. La phase d’entrée en relation correspond à l’ouverture de compte qui est une étape sans frais aucun, au titre de la gratuité sur les 19 services et produits bancaires. En réalité, les taux d’intérêts sont proposés lors de l’octroi du crédit et après appréciation au cas par cas de chaque demande par rapport à son environnement, son contexte, ses points forts et ses points faibles, etc…selon les procédures, les normes et les règles en vigueur. Une fois le principe de l’octroi du crédit acquis, il est établi une convention de prêt qui stipule les conditions du crédit dont le taux d’intérêt. En plus de la convention, le tableau d’amortissement fait lui aussi mention du taux d’intérêts. Oui le banquier doit communiquer le Teg. Et quand bien-même il ne le ferait pas par oubli, je vois mal quelqu’un s’engager à prendre un crédit sans se soucier de combien cela lui coûte. Personnellement, je ne m’engagerai pas à prendre un crédit sans pour autant en connaître le taux d’intérêt. Il en va de la viabilité de mon projet et de m’assurer de ma capacité à pouvoir honorer l’engagement que je prends.

Les banques sont réputées pour leur frilosité, pourquoi elles rechignent à prendre des risques, en prêtant à des non salariés ?
Vous avez dit frilosité ? Au 30 septembre 2020 les banques ont prêté, en valeur estimée, plus de 5 200 milliards FCFA à leurs clients. Vous avez également dit absence de prise de risque ? A la même date, les banques ont enregistré 752 milliards de FCFA de créances en souffrances brutes, c’est-à-dire des créances non remboursées au terme du délai réglementaire qui varie entre 90 et 180 jours après l’échéance retenue. Cela a conduit à une dégradation du portefeuille de créances au taux brute de 14,2%. Et ce n’est pas la Covid qui va améliorer la situation.
S’agissant des non-salariés, les portes ne leur sont pas fermées tant que les conditions minimales sont réunies afin de ne pas exposer l’établissement prêteur à une dégradation supplémentaire de son portefeuille. Cette dégradation aura, à n’en pas douter, un impact néfaste sur les fonds propres qui constituent un point de surveillance majeure en matière de règles prudentielles Bâle II / Bâle III notamment, laquelle surveillance est surtout orientée vers la protection des déposants dont les ressources concourent substantiellement à faire le crédit. Croyez-moi, il n’y a pas de frilosité. Quand bien même il y’en aurait les raisons sont à chercher à la fois dans les risques encourus et dans la protection des dépôts de la clientèle, sans oublier le respect du dispositif prudentiel et réglementaire.
Comment se portent les banques face à la Covid-19?
Avez-vous enregistré des pertes ou au contraire avez-vous fait des bénéfices ?

Les états financiers qui ressortiront des arrêtés de fin d’exercice dans quelques jours nous diront si les banques et les établissements financiers ont fait des pertes ou des bénéfices. Par contre, en cette période de pandémie, nous pouvons dire que nos membres, bien que frappés eux-mêmes par les effets de la Covid-19, ont beaucoup contribué à appuyer les personnes physiques et morales impactées, via les crédits classiques au titre des relations normales et habituelles entre une banque et son client, les reports d’échéances de crédits, le Sénégal ayant fait le plus de reports au sein de la zone UEMOA, le tout sans intérêts ni frais, pénalités et commissions et les concours octroyés au titre du mécanisme de résilience « Etat, banques, Fongip» au taux de 3,5% l’an.
Bien entendu, les ressources des banques proviennent principalement de la clientèle et les concours vont à celle-ci. Si le client est impacté, la banque l’est également.
Pour autant, les banques poursuivent leurs activités au service de la clientèle et continuent de financer les ménages et l’économie. Il en sera ainsi pour le financement de la phase de relance pour une enveloppe de 300 milliards de FCFA, avec la couverture partielle et appréciable de l’Etat.

Selon la commission bancaire de l’Uemoa, les 29 établissements bancaires sénégalais ont réalisé un bénéfice de 95 milliards de francs Cfa en 2019. Qu’elles sont les projections pour l’année 2020?

Nous pourrons y revenir après les arrêtés des états financiers de fin d’année. Mais sans nul doute, le Covid-19 et les mesures prises du fait de cette pandémie auront un impact sur la rentabilité des banques qui pour autant poursuivent leur soutien à l’économie à travers les concours actuels et à venir en faveur des clients.

Source: Walf Quotidien

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