Eurobond: pourquoi les banques refusent de prêter de l’argent à l’Etat

Eco-Finance

L’Etat n’a pas de quoi pavoiser avec cet eurobond. Spécialiste en banque, Guy Silva Thiam explique que ces taux obtenus par le Sénégal vont renchérir le coût du financement pour les entreprises sénégalaises et donc limiter davantage leurs capacités à concurrencer les entreprises étrangères. Dans cet entretien accordé à Walf Quotidien, il explique en outre pourquoi les banques sénégalaises rechignent à prêter de l’argent à l’Etat .

Comment appréciez-vous le dernier eurobond du Sénégal de 2 milliards de dollars?

Le Sénégal lève près de 1200 milliards de FCFA remboursables sur 30 ans maximum. En effet, il faut retenir que cet emprunt est composé de deux tranches dont celle en euros est sur 10 ans au taux de 4,75% et 1 milliards en dollar à 6,75% sur 30 ans, sachant que le Sénégal a racheté 200 millions de dollars non encore échus concernant l’eurobond 2011. Il faut noter que contrairement au communiqué du ministère du ministère des Finances, cet emprunt ne nous coûtera pas moins cher que celui de 3 milliards de dollars du Nigéria qui ne portait que sur une devise et sans rachat antérieur.

Cet emprunt nigérian avait reçu une soumission de 11 milliards de dollars ce qui n’est pas notre cas. La Côte d’Ivoire a également levé sur le même marché 1140 milliards sur des échéances plus courtes (6 à 8 ans) quasiment au même taux que nous, alors que les crédits à plus court terme devraient avoir un taux nominal plus élevé. Cependant, au vu de nos besoins de trésorerie et de liquidités il est toujours bon de pouvoir lever des fonds sur les marchés.

 Partagez-vous l’euphorie du gouvernement?

Cette euphorie du gouvernement est financièrement et techniquement incompréhensible. En effet, cette emprunt nous interpelle à plusieurs niveaux;

– le fait d’emprunter en devises étrangères oblige les bailleurs à pondérer leur risque à plus de 100%, par conséquent notre risque est doublé de ce simple fait.

– en outre le principe des eurobonds est de permettre aux Etats considérés comme les plus risqués de se refinancer ce qui conduit à des taux très élevés. Je tiens à faire remarquer que la France a renoncé en 2011 à lever des eurobonds sous pression de l’Allemagne juste pour ne pas affaiblir l’UE et depuis lors le marché des eurobonds devient de plus en plus un marché pour les pays africains.

-Emprunter sur le marché international en devises de surcroit vient affaiblir notre position de change et donc la valeur de notre monnaie car au moment de rapatrier les fonds ainsi qu’au moment de rembourser nous devrons acheter des devises, donc modifier notre position de change.

– la dernière interpellation concerne nos prévisions budgétaires. En effet, la loi de finance 2018 n’a prévu cet emprunt. De ce fait de deux choses l’une : soit le budget n’est pas réaliste car étant juste établi sur une base arithmétique sans se référer aux différents programmes et plans ou bien le Sénégal s’est dit que “l’occasion fait le larron” c’est à dire que nous émettons un eurobond sans objectif précis et il prend tout ce qui est disponible. Et j’ai l’impression que c’est ce second cas qui a prévalu ici

Etes-vous d’accord avec le gouvernement qui dit que c’est une marque de confiance de la part des bailleurs de fonds?

C’est tout à fait le contraire dans le cadre des eurobonds surtout tenant compte des observations supra. L’autre élément à tenir en compte dans le cas d’espèce c’est que les prêteurs de l’Etat ne sont pas nos bailleurs traditionnels, mais plutôt des fonds spéculatifs. Cela te montre que les financements obtenus ont caractères très volatiles ce qui est corrélé à leur coût élevé par rapport au financement standard des marchés des capitaux.

Le taux obtenu est-il raisonnable ?

Par rapport aux intervenants, la nature des fonds en vigueur, l’historique, ce taux est dans la moyenne supérieure. Néanmoins, la question à se poser est de savoir si l’Etat emprunte en devises à plus de 6% sur 30 ans, à quel taux le sénégalais (entreprise et citoyen) devra emprunter? En effet, le coût du financement pour l’économie nationale dépend des taux auxquels l’Etat emprunte car ce dernier est considéré comme l’agent le moins risqué. Ces taux obtenus par le Sénégal le satisfont surement mais vont renchérir le coût du financement pour les entreprises sénégalaises et donc limiter davantage leurs capacités à concurrencer les entreprises étrangères. Notre économie sera donc de plus en plus dominée par les étrangers. Ces observations m’emmènent en définitive à penser que les taux obtenus sont déraisonnables pour notre économie.

Pourquoi, selon vous, l’Etat n’a pas sollicité les banques sénégalaises? Est-ce parce que ces dernières ne sont pas en mesure de financer une telle somme?

Les banques de l’Union ont présenté un total crédit sur 2016 de près de 16 500 milliards de FCFA avec des dépôts de 21 000 milliards et cela sans compter les 400 milliards hors intérêts que l’Etat du Sénégal doit sur le marché de la BRVM à échéance 2025 au marché boursier. Les banques de l’Union ont des encours de l’Etat très élevés aussi bien sur le marché de la clientèle que le marché monétaire. Cela les conduit à être plus prudentes et exigeantes vis-à-vis de l’Etat mais cela ne signifie pas qu’elles sont incapables de financer de telles sommes mais ont-elles intérêt à le faire? L’autre aspect c’est que le Sénégal est classé parmi les Pays les Moins Avancés (PMA) et donc dans le cadre de l’apurement de la dette nos agrégats sont surveillés par la Banque Mondiale et le FMI ce qui limite nos capacités de financement en local.

Le député et économiste Mamadou Lamine Diallo disait avant cet eurobond que l’Etat s’apprêtait à s’endetter parce qu’il doit faire face à la dette intérieure qu’il estime à 400 milliards, est-vous de cet avis ?

Je pense que la qualification du budget 2018 en “BUDGET SOCIAL” a donné le ton. L’Etat fera tout afin de trouver des liquidités servant au règlement de la dette intérieure ainsi que la réalisation d’actions envers les couches défavorisées et/ou vulnérables. Cela passera par la redynamisation du FONGIP, de la CMU, d’un début de réalisation des accords avec les syndicats, mais aussi de la dette intérieure privée qui est très élevée actuellement. Pour s’en convaincre, il suffit juste de demander à un responsable contentieux d’une banque de la place de vous donner la structure de son portefeuille et vous verrez que ce sont des entreprises en relation d’affaires principalement avec l’Etat.

Comme je l’ai dit précédemment, le Sénégal est allé ramasser tous les fonds disponibles sans forcément savoir quoi en faire. Sans oublier que nous en sommes à la dernière année du plan d’action prioritaire du PSE.

L’Etat s’endette essentiellement pour financer son fonctionnement et rembourser ses dettes en partie donc on n’investit pas dans le secteur productif. Le règlement de la dette intérieure se fera après que les entreprises locales aient été prises au collet par les banques et autres fournisseurs étrangers. Ce règlement les fera émerger sans les sortir de l’eau. A chaque fois c’est la même pratique. On diffère juste le problème sans le résoudre définitivement.

Source: Walf Quotidien

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