Adama Lam, président de la CNES: «Le climat politique délétère n’est pas de nature à améliorer le moral des chefs d’entreprise»

Eco-Finance

WalfQuotidien: Quel est le moral des chefs d’entreprises sénégalais?

Adama LAM: C’est vrai que la conjonction de plusieurs facteurs dont la Covid, la crise du Mali, partenaire économique de premier plan du Sénégal et enfin la guerre en Ukraine, tous ces événements ont eu un impact extrêmement important et déstabilisant sur les activités des entreprises sénégalaises.

Toutefois, il ne serait pas exagéré de dire que le climat politique délétère qui sévit dans notre pays depuis longtemps n’est pas de nature à améliorer le moral des chefs d’entreprise. Je suis même tenté de dire que nous avons tous laissé la politique occuper la totalité de l’espace social. Nous sommes tous comptables de cette situation pour avoir longtemps laissé la situation pourrir, chacun se disant sûrement que son compatriote fera le travail d’alerte et de remédiation par procuration.

La situation économique et sociale globale a été donc aggravée par la crise ukrainienne avec ses conséquences de hausse généralisée des prix, et comme principal fait générateur, la rareté de certains produits. Les chefs d’entreprise sont inquiets et à juste titre. «Le pays ne marche pas dirait l’homme de la rue», mais il serait plus juste de dire que tous, ensemble, nous n’avons pas fait marcher le pays. Tant que la paix sociale et la sérénité ne s’installeront pas durablement dans notre pays, il sera très hypothétique de parler d’investissement massif, de croissance durable avec un effet de ruissellement important pour des revenus partagés.

Les entreprises sont affectées par la hausse du prix du blé et du fret. Avez-vous des solutions par rapport à cela?

Je me demande si nous avons vraiment tiré les leçons de la Covid qui persiste et qui a mis à nu nos faiblesses et notre vulnérabilité du fait de notre très forte dépendance de l’extérieur. C’est comme si on se disait, on amorce une relance avec les mêmes méthodes, sans intégrer dans notre démarche, les enseignements des crises de ces dernières années qui sont en train de reconfigurer l’économie mondiale. La crise ukrainienne nous rattrape principalement sur le blé, le pétrole, le fret et d’une manière générale sur tous les produits y compris les intrants industriels qui entrent dans la production de denrées de première nécessité. Notre dépendance a comme corollaire une inflation importée qui s’ajoute à la flambée des prix intérieurs

Les entreprises sont actuellement confrontées à une trésorerie exsangue et notre organisation, la CNES, n’avait cessé d’attirer l’attention sur une vraie fiscalité de développement en concertation permanente avec le milieu économique, en accompagnant les entreprises nationales et particulièrement, celles qui sont en difficultés, du fait de l’environnement des crises.

Le cas du blé est caractéristique des options qui ont été prises, pour des raisons diverses liées à la situation des couches démunies, la sensibilité du produit et l’approche des différentes élections. L’effort du gouvernement de s’engager à combler le gap entre la tonne de blé à 325 euros et le cours mondial semble montrer ses limites, parce qu’insoutenable pour les finances publiques, d’autant plus que ces décisions s’accompagnaient de l’abandon des droits de porte et de la Tva sur les importations de blé. Les meuniers n’en peuvent plus d’attendre des compensations qui ne sont pas payées à bonne date et la note finale risque d’être encore plus insupportable pour les finances publiques avec un prix de la tonne de blé qui a atteint 500 euros.

Les arriérés de compensation qui nous sont signalés, sauf erreur de notre part, sont de l’ordre de 15 milliards cfa pour le 2e trimestre 2022

Les arriérés de compensation qui nous sont signalés, sauf erreur de notre part, sont de l’ordre de 15 milliards cfa pour le 2e trimestre 2022 et le 3e trimestre en cours enregistre en stocks reçus et flottants de près de 23 milliards cfa. Ce n’est pas tenable et raisonnable de continuer à maintenir le sac de farine de blé à 19 800 cfa en plus de l’exonération provisoire de la tva. La circulaire relative à la mise en conformité des boulangeries devrait être soutenue avec plus de vigueur, en plus de mettre l’accent sur la consommation de nos céréales locales et leur adjonction dans la fabrication du pain. Cela suppose évidemment que l’on résorbe notre déficit de production de céréales malgré la disponibilité de terres arables en quantité suffisante. Une des solutions se trouve donc dans l’agriculture.

A mon avis, il faut arrêter la fuite en avant et appliquer la vérité des prix sur le blé et sur le pain. Il faut surtout aussi sensibiliser et parler vrai en ce qui concerne nos habitudes de consommation et notre propension à vivre au-dessus de nos moyens, à commencer par l’Etat qui devrait revoir ses orientations d’allocations des ressources publiques en ces temps difficiles et dans une économie mondiale imprévisible.  Il est temps de s’asseoir pour réorienter notre économie avec nos contraintes internes qui sont les seules variables d’ajustement sur lesquelles nous avons un minimum de possibilités de prise de décision.

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