Dr Abdou Khadre DIENG, Maître de Conférences Titulaire à la FASEG / UCAD, sur le chômage: “Le Président Sall peine à trouver la bonne formule”

Eco-Finance

Walf Quotidien: Le président de la République a décidé de décaisser 350 milliards pour lutter contre le chômage des jeunes. Cette somme peut-elle permettre de résorber le chômage des jeunes?
Abdou Khadre DIENG: Le chômage des jeunes est un phénomène ancien, très préoccupant et toujours pris en considération dans les politiques publiques. Au Sénégal, les statistiques sur l’emploi publiées par l’ANSD montrent qu’environ 200 000 nouveaux demandeurs d’emplois arrivent chaque année sur le marché du travail, alors que l’offre est estimée à environ 30 000 nouveaux emplois. Le taux de chômage de 16,9% annoncé par l’ANSD a fait l’objet de débats à tous les niveaux (ANSD, 2019). Depuis l’indépendance à nos jours, toutes les autorités gouvernementales du Sénégal ont mis en place différentes stratégies pour améliorer l’employabilité des jeunes mais également favoriser leur insertion.

Mais apparemment elles n’ont pas trouvé la solution?

Toutefois, aucun des gouvernements du Sénégal n’a pu trouver une solution durable. Récemment, le Président de la République, Macky Sall a attribué une des causes des manifestations violentes qui ont secoué le pays au chômage des jeunes. Il a, par la suite, décidé de procéder à une réorientation budgétaire de 350 milliards FCFA entre 2021 et 2023. A notre avis, la structure actuelle de l’économie sénégalaise ne permet pas de résorber le chômage avec cette somme.


Ah bon?
En effet, l’analyse de la structure de l’économie sénégalaise montre que l’agriculture est le premier secteur pourvoyeur d’emplois avec environ 52,7% de la population active et contribue à hauteur de 16% du PIB, ce qui montre une faible productivité du secteur malgré les avantages que présentent le Sénégal (eau, terres cultivables, main d’œuvre, etc.). Le secteur agricole nécessite d’importantes réformes, de la mécanisation à la valorisation des chaines de valeur. Il est suivi par le commerce qui fournit, en moyenne, 24% de l’emploi total.


Et pour ce qui est de l’industrie?

Le secteur industriel contribue à 22,6% du PIB et emploie environ 20,2% de la population active. Ce secteur qui devait être le moteur de la croissance économique et de l’emploi ne joue pas encore pleinement son rôle. Il y a nécessité de mettre en place des investissements adaptés pour booster le secteur industriel. Cette situation explique le fort taux d’importation enregistré au Sénégal mais également l’exportation des produits agricoles non transformés. Les importations de produits finis et les exportations de produits primaires ne font que créer des emplois en masse dans le pays partenaire et de façon très limitée dans le pays d’origine. Le secteur des services contribue pour 53,8% du PIB et emploie 26,5% de la population active. Ce secteur bénéficie d’un apport de taille venant du sous-secteur des télécommunications qui a effectué de gros investissements et apporté des innovations majeures. Cependant, ce sous-secteur ne présente pas un fort potentiel de création d’emplois. C’est une économie de réseaux qui permet de faire des économies d’échelle énormes après l’installation des équipements avec un personnel réduit. Les sous-secteurs du commerce et du tourisme connaissent d’énormes difficultés pour enclencher un véritable développement par une parfaite amélioration de leur performance. Les produits du commerce sont pour l’essentiel importés et les entreprises commerciales sont généralement informelles et de petite taille en termes de personnel. Il est également important de préciser que la COVID-19 a créé un choc dans les chaines d’approvisionnement en produits finis mais également en matières premières par le confinement total ou partiel de plusieurs zones. Certaines entreprises étaient obligées de procéder à des licenciements ou à une réduction du nombre d’heures de travail habituel pour pouvoir supporter le paiement des salaires et des autres charges. Cette baisse de la production des entreprises a entrainé une baisse de la productivité et des conséquences néfastes sur la croissance économique. Le taux de chômage a grimpé considérablement et la pauvreté a augmenté dans tout le pays.

Qu’elle est stratégie l’Etat doit adopter?

Dans la perspective de réduire le chômage et de créer des emplois décents, l’Etat du Sénégal devrait accorder la priorité au développement du secteur manufacturier qui pourrait générer une croissance durable et des emplois décents. Pour ce faire, il faudra réorienter la trajectoire de l’emploi de l’agriculture et du commerce vers les manufactures. Ce choix permettrait, d’une part, de transformer les produits primaires permettant l’exportation de produits à haute valeur ajoutée. Et d’autre part, de mettre en place des chaines de valeur qui vont relier les secteurs primaire, secondaire et tertiaire en absorbant une bonne partie de la main d’œuvre disponible. Il faudra également mettre l’accent sur trois autres aspects. Le premier est la formalisation des entreprises informelles qui sont de petite taille pour la majorité. Cela nécessite une négociation avec les acteurs de l’informel pour leur faire comprendre les avantages liés à la formalisation.

Quel est le deuxième aspect?

Le deuxième est le renforcement de la capacité de la main d’œuvre par des formations professionnelles et techniques pour la rendre opérationnelle. Ce point nécessite la mise en place d’un système d’apprentissage école-entreprise. Le troisième aspect est relatif à la facilitation de l’accès au financement par les PMI/PMI. Sur ce point, les institutions nationales en charge de la promotion de l’emploi des jeunes pourraient jouer un rôle plus important et permettre d’étendre l’investissement, de le formaliser et d’en bénéficier d’emplois décents supplémentaires.

Cela n’est-il pas un aveu d’échec de sa part?

L’annonce de nouvelles mesures relatives à l’employabilité des jeunes, à leur insertion et à la réduction du chômage par le Président de la République montre que sa politique de l’emploi est encore inefficace. Depuis 2012, le Président SALL peine à trouver la bonne formule pour apporter une réponse à l’épineuse question liée à l’emploi des jeunes.

Cela ne veut-il pas dire que les nombreux fonds destinés aux financements des jeunes ne servent à rien ?
Ce débat rappelle la nécessité d’évaluer l’impact des différents programmes pour la promotion de l’emploi des jeunes financés par l’Etat du Sénégal et d’autres organismes. Cela permettra de tirer des leçons du passé et de mieux orienter les fonds nouvellement destinés à l’objectif de réduction du chômage.

Cette somme pourra-t-elle changer les choses avec la même équipe ?

En tout état de cause, l’Etat devrait mieux atteindre sa cible. D’une part, les gestionnaires de ces programmes doivent être des experts entourés d’une équipe capable d’évaluer l’impact des actions entreprises sur les destinataires qui constituent la main d’œuvre. D’autre part, les financements doivent être attribués à des entrepreneurs qui ont le potentiel dans le secteur en question.

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